Hotsuma-Tsutae Le Livre de l'Homme (Chapitre 30,31) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Kantake et le Chant de l’Oiseau Miyako
- Le règne de Jimmu -

Jimmu est considéré comme le premier véritable “empereur” du Japon. Mais lui-même reconnaissait Ninikine, le “Petit-Fils Céleste” comme l’ancêtre des souverains terrestres. Ninikine a consacré sa vie à la mise en valeur de nouvelles terres pour la culture du riz. Inlassablement, il a travaillé dans tout le pays à tranformer des zones humides et des espaces inondables en rizières prospères qui existent encore de nos jours. A mesure que la production alimentaire progressait, la population augmenta, tout comme la puissance de la nation et c’est ainsi que débuta une longue période de paix et de stabilité politique.

Faisant l’éloge des réalisations de son petit-fils, le Seigneur Amateru reconnut en lui l’esprit des ancêtres éminents. Il lui conféra le nom élogieux de Wakeikazuchi (littéralement “Diviseur de l’Éclair”). Ceci évoquait la prouesse par laquelle il avait maîtrisé l’éclair, source de nombreuses calamités, en le divisant en ses éléments de lumière et d’eau. Il dévia l’eau vers les rizières, ce qui enrichit d’autant la vie de la population et augmenta la prospérité du pays. Pour le récompenser de ces remarquables réalisations, Amateru lui conféra aussi les “Trois Trésors Célestes”.

Tandis que l’on se préparait à l’accession de Kanyamato Ihawarehiko (ou Kantake, connu plus tard comme Jimmu) au trône, une assemblée de tous les nobles fut convoquée. La coutume voulait que, normalement, le souverain régnant soit présent et qu’il transmette personnellement les Trois Trésors Célestes à son successeur. Mais cette fois, le souverain précédent (Ugaya) était déjà décédé et un nouveau règlement relatif à la cérémonie rituelle et à la répartition des rôles devait être discuté.

L’assemblée s’acheva sur une décision unanime. Le serviteur du soleil serait Michiomi, tandis qu’Atane servirait la lune et Ametomi les étoiles. Ametomi reçut alors le titre d’Imbe (Maître des Rites) et, après s’être purifié, il se prépara à présider la cérémonie.

Le premier jour de la première année du règne d’Ihawarehiko (l’année “sanato” dans le cycle de 60 années), le futur souverain pénétra dans son palais nouvellement construit à Kashihara. Tous les ministres et les nobles se rassemblèrent au palais pour présenter leurs respects habituels du nouvel an. Umashimachi profita de cette occasion pour remettre les DixTrésors Divins au souverain. Il les avait reçus de Kushitama Honoakari Teruhiko, le frère aîné de Ninikine, le Petit-fils Céleste. Ces trésors avaient servi comme symboles pour légitimer Nigihayahi, le fils de Honoakari, qui avait administré le Yamato depuis son palais à Asuka. Ensuite, Ame-no-Taneko, Seigneur de Kasuga, rédigea une ancienne chronique de l’Ère des Dieux, qu’il présenta également au souverain.

Le septième jour, ils partagèrent un bouillon aux sept plantes “nanakusa”. Le quinzième jour, ils allumèrent un feu de joie rituel “tondoho” et se livrèrent à des pratiques de divination au moyen d’un gruau de riz rituel. Et finalement, le vingt et unième jour, les Rites d’Accession se déroulèrent en grande pompe au palais du souverain. Ametomi apporta l’épée “yahegeki”, conservée à Wakezuchi (dans l’actuel Kyoto) depuis le règne d’Ugaya. Atane apporta le miroir qui était vénéré au Palais Kawahi (le Sanctuaire Shimo-Kamo à Kyoto). Ihawarehiko pénétra avec solennité dans le Grand Hall où il s’assit sur neuf coussins. Ame-no-Taneko, Ministre de la Gauche, prit place sur trois coussins et Kushimikatama, Ministre de la Droite, sur deux coussins. Michiomi, Ministre du Soleil, commença alors à réciter le Chant de l’Oiseau Miyako. Le souverain et ses ministres s’agenouillèrent en une posture officielle pour écouter ce Chant. Il relatait l’acceptation par Ninikine des Trois Trésors Célestes et en voici le contenu :

« Kasuga et Komori étaient les Ministres aux deux côtés du grand souverain Ninikine qui dirigeait le ciel et la terre. Ensemble, ils gouvernaient le pays d’un seul et même esprit. Leur gouvernement était comparable à une grande créature, appelée l’Oiseau Miyako. Le corps de l’oiseau était le peuple. Sa tête était le souverain et ses ailes étaient les Ministres de la Gauche et de la Droite. Les pattes de l’Oiseau Miyako étaient les guerriers “mononobe” qui gardaient le pays. Si le Ministre de la Gauche, détenteur du Miroir, devait chuter, c’est tout le peuple qui perdrait sa confiance dans l’administration et la lignée du souverain s’atrophierait. Si le Ministre de la Droite, détenteur de l’Epée, devait chuter, ce sont les mononobe qui se rebelleraient et il s’en suivrait une grande confusion dans tout le pays.

« La fonction du Ministre de la Gauche est de bien guider le peuple dans les travaux liés à l’agriculture et, par là, d’enrichir l’existence de la population. En revanche, la mission du Ministre de la Droite est d’assujetir les malfaiteurs et de préserver la paix en contrôlant la puissance des mononobe. La raison de la division des Trois Trésors Célestes, symboles de l’autorité divine, est de partager la puissance de façon égale de sorte que tous puissent rester unis dans une administration équitable du pays.

Amateru fit enregistrer ces points dans un document qu’il transmit personnellement à son petit-fils Ninikine. Seoritsu, la compagne principale d’Amateru, prit le Miroir et le présenta à Kasuga. Haya-akitsume, une autre des compagnes, prit l’Épée et la présenta à Komori. Tous s’inclinèrent trois fois avant d’accepter les Trésors. Telle est la forme de l’Oiseau Miyako qui régit la succession dans l’administration du Yamato. »

Après avoir fini la récitation du Chant, Michiomi présenta au souverain un coffret contenant les Écritures Divines. Atane remit le Miroir à Ame-no-Taneko et Ametomi présenta l’Épée à Kushimikatama. Tous les autres ministres et officiels prononcèrent alors leurs væux d’allégeance, puis tous les participants s’écrièrent ensemble d’une voix forte : “Yorotoshi ! Yorotoshi !” (“Puisse-t-il vivre longtemps !”).

Finalement, le Miroir fut conféré à la garde d’Isosuzu, la Compagne Principale, et l’Épée à Ahiratsu, la Seconde Compagne. Les Écritures Divines furent confiées en attendant à la personne du souverain. Par la suite, ils furent tous conservés à l’intérieur des bâtiments du palais qui, par imitation d’une coutume initiée par Ninikine, en vint à être connue comme le Palais Intérieur. Le jour suivant, le peuple fut autorisé à vénérer les Ornements Divins ; après quoi l’incarnation rituelle de l’Oiseau Miyako (kimi, souverain + tomi, ministres + tami, peuple) fut achevée.

Au cours du mois du solstice d’hiver, on effectua des préparatifs pour le Grand Festival de l’Accession afin de rendre officielle la gestion du nouveau souverain sous le non de Kantake (Jimmu). D’abord, Kantake construisit le “a-yuki” et le “wa-yuki” (sanctuaires du ciel et de la terre) où il vénéra les 48 divinités primordiales du ciel et de la terre selon un rite secret. De cette façon, avec l’assentiment du ciel, de la terre et de la population, Kantake accéda officiellement au trône par le biais d’un pacte mystique avec les cieux..

Ensuite, les ministres Ame-no-Taneko et Kushimikatama étant à sa gauche et à sa droite, le souverain présida à une cérémonie pour la distribution de nourriture. Umashimachi et les ‘mononobe’ gardaient l’entrée du palais, tandis que Michiomi et les soldats ‘kume’ gardaient les palissades et les ramparts. Ametomi (le ‘imbe’ ou le Maître de Rites) effectua les rites mystiques pour la vénération des divinités.

Le onzième jour de la nouvelle année suivante, le souverain publia un décret de recommandation :

« Si nous sommes parvenus en paix et en sécurité à accueillir ce nouveau printemps, c’est grâce à la loyauté d’Umashimachi. Pour cette raison, nous allons désormais le nommer, lui et ses descendants, comme Maître des ‘mononobe’. A Michiomi, nous accordons le Palais de Tsukizaka et le fief de Kume (1). Nous nommons également Utsuhiko comme Gouverneur de Yamato en échange de son aide lorsqu’il a guidé nos bateaux et que nous avons récupéré l’argile sacrée au Mont Kagu. Ukeshi le Jeune sera le Gouverneur de Takeda et Kurohaya celui de Shigi. Amehiwake deviendra le Gouverneur d’Ise et Atane sera le Gouverneur de Kamo à Yamashiro. Tsurugine, petit-fils de Katsute, sera le Gouverneur de Katsuki (2). Et, en échange de ton aide et nous avoir guidé en sécurité jusqu’à Ugachi, Yatakarasu, tu deviendras le chef de ce village. Et à partir de là, tes descendants seront les Gouverneurs de Kadono (3).
(1) à Kashihara
(2) Katsuragi
(3) dans l’actuel Kyoto
Pendant la troisième année du règne de Kantake, il y eut quarante jours continus de pluie à compter du cinquième mois (la saison des pluies). Une épidémie se répandit dans la population et des dégâts dus à la rouille commencèrent à se répandre dans les cultures de riz. Lorsque cette nouvelle désastreuse arriva aux oreilles du souverain, il dépêcha ses Ministres Ame-no-Taneko et Kushimikatama à la Rivière Tasu (préfecture de Shiga). Ils y construisirent un sanctuaire temporaire où ils prièrent et procédèrent à des rites de purification pour chasser la pestilence. En conséquence, la contagion s’arrêta et le riz redevint en bon état. Enchanté par cet état de choses, le souverain publia le décret suivant :

« Wanihiko (1), votre ancêtre Kushihiko (2) s’est vu attribuer le titre de Seigneur de Yamato par Amateru en échange de sa bravoure et de sa loyauté. Maintenant, pour te récompenser des bonnes actions de ta famille pendant trois générations, je te décerne à nouveau le nom de Mononushi (Seigneur des Armes). Et à Taneko, dont la lignée a servi loyalement comme Détenteur du Miroir depuis notre ancêtre Wakahiko (3), je décerne le nom de Nakatomi (Ministre du Centre). Vous transmettrez ces nobles appellations à vos enfants et aux enfants de vos enfants, et ils continueront d’administrer le pays. »
(1) Nom personnel de Kushimikatama
(2) Nom personnel du 2nd Ohomononushi
(3) Nom personnel d’Ame-no-Koyane
Au deuxième mois de la quatrième année, le souverain publia un autre décret :

« L’Oiseau Miyako de nos divinités ancestrales s’est changé en un oiseau d’or qui a brillé sur nous et notre armée. En conséquence, nos ennemis ont été défaits et ils ont été asujettis à notre loi. Ametomi déplacera la divinité Kamo à cet endroit et il vénérera les divinités ancestrales au Mont Torimi à Harihara. Quant à Atane, il prendra la succession dans la vénération de Kamo Takezumi en tant que Gouverneur de Yamashiro.

A l’automne de la huitième année au Palais Kashihara, un messager du nom de Takakurashita revint à la cour après un séjour prolongé. Il soumit alors le rapport suivant au souverain :

« Il y a quelque temps, j’ai reçu l’ordre d’aller d’abord à Tsukushi dans les régions lointaintes de l’ouest, où j’ai parcouru les trente-deux districts et je les ai tous placés sous votre administration. Ensuite, je suis allé à Yamakage (*) et j’ai accompli les mêmes actions; et de là, vers le Pays de Koshiushiro. Là-bas, je suis tombé au Mont Yahiko sur des rebelles locaux qui refusaient d’accepter votre souveraineté. Je les ai battus cinq fois de ma hallebarde et finalement je les ai tués. J’ai ainsi ramené leurs vingt-quatre districts sous votre gouvernement. » Takakurashita avait aussi rédigé des cartes des pays placés sous le régime de Kantake et il les lui offrit. En échange, le souverain le nomma Gouverneur de Kii et il lui décerna le titre de “Oho-Muraji” (Grand Duc).
(*) La région actuelle du San’in
Dans la vingtième année, les districts de Koshiushiro ne payèrent pas le tribu réglementaire sous forme des prémices du riz. Takakurashita fut à nouveau envoyé pour les rappeler à l’ordre. Cette fois, il n’eut même pas à dégainer son épée, car les rebelles s’inclinèrent respectueusement devant ses ordres. Le souverain le récompensa en le nommant Gouverneur de Koshiushiro et il lui attribua le titre élogieux de Seigneur Yahiko. Sachant que Takakurashita vivrait désormais sur ces terres, le souverain accorda le Palais de Kii à Ame-no-Michine, son beau-frère, pour qu’il y règne en Gouverneur à sa place.

A la vingt-quatrième année, le souverain n’avait pas encore d’enfant qui puisse prendre la succession à la tête du gouvernement. Un jour, il fit la connaissance d’une princesse, appelée Isukiyori, fille de Kume et réputée pour sa grande beauté. Le souverain souhaita la faire venir à la cour, mais il fut réprimandé par sa Compagne principale Isosuzu. Aussi changea-t-il son nom en Yurihime et il alla la voir en secret au Palais Kume.

Ensuite, la Compagne principale devint enceinte et l’été suivant, elle donna naissance au Prince Kanyayi-mimi, qui reçut le nom familier de Ihohito. Puis, pendant l’hiver de la vingt-sixième année, alors que le souverain participait aux festivités à Yasutare près de la Rivière Nuna, la Compagne principale mit au monde un autre enfant qu’ils nommèrent Kanunakawa-mini. Son nom familier était Yasugine.

Au cours de l’été de la trentième année, Takakurashita, devenu le Seigneur Yahiko, retourna présenter ses hommages à la cour après une absence de quatre années. Le souverain invita Yahiko à se joindre à lui pour boire une coupe de saké, mais ils ne s’arrêtèrent pas à une. Dans cette ambiance conviviale, Kantake demanda :

« Autrefois, tu ne buvais pas tant. Pourquoi donc es-tu devenu si fort ? » A quoi le visiteur répondit : « Koshiushiro est une région si froide que nous buvons chaque jour et, après un temps, nous finissons par aimer le saké. » Katake sourit et répondit : « Et bien, on dirait que le saké te rajeunit et qu’il t’a transformé en un adulte. Laisse-moi te donner une femme avec qui tu pourras boire. » La femme en question n’était autre qu’Isukiyori, une compagne de rang moins élevé du souverain et la jolie fille de Kume qui fut alors appelée Yurihime. Takakurashita fut surpris de cette offre, car il avait alors 77 ans et elle seulement 20 printemps. Mais en fin de compte, elle retourna chez Koshiushiro comme son épouse et ils eurent deux jolis enfants, un garçon et une fille.

Comment le souverain a-t-il rencontré Yurihime la première fois ? C’est arrivé alors qu’il était allé voir les lis près de la Rivière Sayu et qu’il avait passé la nuit au palais de Kume. Ce soir-là, Isukiyori, la fille de Kume, lui avait servi son repas. Le souverain s’entendit bien avec la jolie fille et il lui transmit son désir en composant un poème :
Ashihara no shige koki oya ni
Suga tatami iyasaya shikite
Waga futari nen

(“Dans une chaumière tapissée de mousse sur la plaine des roseaux, couchons-nous sur des nattes de laîche et dormons ensemble.”)
De cette façon, le souverain avait fait d’Isukiyori sa compagne. Mais plus tard, le Prince Tagishi devint profondément amoureux d’elle. Quand il fit appel à son père, Kume fut ému par la profondeur de sa passion et il souhaita répondre à son désir. Mais il demanda d’abord à sa fille de venir les voir. Remarquant le regard vif dans les yeux du Prince, elle composa un poème de dix-neuf syllabes et elle se tint devant lui :
Ame tsu tsuchi torimasu kimi to
Nado sakeru dome

(“Veux-tu me séparer de mon seigneur, qui détient le ciel et la terre, par ce regard perçant ?”)
Le Prince Tagishi s’avança ensuite et, en réponse, il composa le poème suivant :
Niya otome tada ni awan to
Waga sakeru dome

(“Non, ma dame, je souhaite seulement te voir. Ne m’évite pas par ce regard perçant.”)
Considérant que le dilemme de sa fille provenait de son sens profond de loyauté, son père demanda au Prince de se retirer pour réfléchir plus à l’aise à la question. Le Prince accepta et se retira. Une des femmes en service rapporta l’incident à Kushimikatama, le Ministre de la Droite, qui, à son tour, la porta à l’attention du souverain.

« Ce problème apporterait la honte sur notre famille. Je te demande de le garder secret. » dit-il. Kantake comprit le bien-fondé de cette requête et il décida de dissimuler toute l’affaire.

Le premier jour du quatrième mois de la trente et unième année, le souverain se rendit sur la colline de Hohoma à Wakikami (actuellement le Mont Kunimi de la ville de Gose dans la préfecture de Nara). En regardant à la ronde le beau pays de Yamato, ses émotions furent agitées, ce qui le poussa à déclarer ce qui suit :

« Ah, quel pays splendide et épanoui nous possédons ! Sa forme ressemble à des libellules accouplées. Voici le Pays d’Akitsushima (1), appelé Yamato-Urayasu par les souverains célestes, et comprenant les Pays de Koyene (2), Yamato Hitakami (3), Sahoko-Chitaru (4) et Shiwakami-Hotsuma (5), ainsi que Tamagakiuchitsu (6) depuis le temps d’Ohonamuchi, et appelé Soramitsu-Yamato par Nigihayahi. »
(1) Un épithète pour le Yamato ou le Japon
(2) Correspond environ à la région actuelle de Hokuriki
(3) Région du Tohoku
(4) Région du San’in
(5) Région du Kanto
(6) Région d’Izumo
Le troisième jour de la quarante-deuxième année, le Prince Kanunakawa-mimi devint le Prince Héritier. Son Ministre de la Gauche allait être Nakatomi Usamaro et son Ministre de la Droite serait Adatsu-Kushine, le fils de Mononushi. Avec Ushimachi, le Maître des mononobe, ils allaient assister le Prince dans son administration future du pays.

Le quinzième jour de la soixante-seizième année, le souverain publia un décret : « Comme j’ai vieilli, je vais désormais confier le gouvernement au Nakatomi et au Mononushi, père et fils. Tous les autres ministres leur obéiront ainsi qu’au Prince Héritier. » Ce disant, il se retira dans son palais où il mourut le dixième jour du troisième mois.

Ahiratsu, la compagne de Kantake, et son Ministre de la Droite Kushimikatama, qui avaient partagé tant de tribulations avec ce dirigeant exemplaire, entamèrent une longue période de deuil. En réalité, ils continuèrent de le servir comme s’il était encore en vie.

Nakatomi Ame-no-Taneko, le ministre de la Gauche, accompagné de son fils Usamaro et de Kushine (nommés Ministres du Prince Héritier) commença à discuter des arrangements mortuaires avec Kanunakawa-mini. Mais son demi-frère aîné, le Prince Tagishi, tenta alors de prendre le contrôle du gouvernement. Les trois ministres demandèrent l’aide de Kanunakawa, mais il ne donna aucune réponse et il commença le deuil, leur confiant l’administration des affaires. Tagishi refusa d’autoriser les obsèques qui furent donc reportées.

C’est alors que Tagishi ourdit en secret un complot pour tuer ses deux demi-frères.

Un jour, Tagishi prépara un pavillon provisoire près de la Rivière Sayu au pied du Mont Unebi. Il y invita ensuite ses deux jeunes demi-frères et leur mère Isosuzu à une fête consacrée à admirer les lis en fleur. Toutefois, Isosuzu trouva étrange cette initiative, car normalement, ce genre de fête est organisé seulement dans un endroit bien plus imposant, tel qu’un sanctuaire ou un palais.

Pour avertir ses fils de ses inquiétudes, elle composa deux poèmes sur des tablettes de bois qu’elle leur remit en faisant semblant de solliciter leurs corrections. Quand le Prince Héritier reçut les tablettes, il découvrit que, par leur double sens, elles contenaient de sombres prémonitions. L’une disait :
Sayugawa yu kumo tachi watari
Unebi yama ko no ha sayaginu
Kase fukan tosu

(“Au bord des eaux de la Sayu, des nuages se lèvent et sont emportés. Sur le Mont Unebi, un vent soufflera, mais il ne fera pas frémir les feuilles des arbres.”)
L’autre poème disait ceci :
Unebi yama hiru ha kumo toyi
Yufu sareba kaze fukan tozo
Ko no ha sayagiru

(“Sur le Mont Unebi, des nuages s’amoncellent pendant le jour. Mais quand s’achèvera la nuit, un vent soufflera, et les feuilles des arbres frémiront.”)
Le Prince Héritier réfléchit pendant quelques instants au sens de ces deux chants et il comprit aussitôt ce que sa mère souhaitait lui communiquer. Le soir même, près de la Rivière Sayu, un acte de malveillance effroyable avait été planifié contre lui et son frère, ainsi que contre leur mère Isosuzu. Il n’y avait pas de temps à perdre. Kanunakawa-mimi entraîna vers un coin son frère aîné Kanyayi-mimi et, en aparté, il lui fit part de ses suspicions. « Il y a longtemps, notre frère voulait avoir des relations charnelles avec Isukiyori, la compagne de notre père, mais son plan a été déjoué, expliqua-t-il. Par compassion familiale, notre père a décidé de garder secrète cette affaire. Mais Tagishi cherche à prendre le pouvoir et à se comporter comme bon lui semble. Normalement, le pouvoir du gouvernement doit être confié aux Ministres. A présent, il refuse d’entreprendre les arrangements pour les funérailles de notre père. Sans aucun doute nous a-t-il invités ici avec des intentions malveillantes. Nous devons donc frapper d’abord, sans attendre qu’il mette son projet à exécution. »

Kanunakawa-mimi fit fabriquer un arc par Wakahiko et des pointes de flèche en os de cerf par Manaura. Il fit transporter le carquois par Kanyayi-mimi et ils se mirent en route vers Kataoka, où ils savaient que Tagishi se trouvait.

Quand ils arrivèrent, Tagishi faisait la sieste endormi sur le sol, n’ayant nullement conscience de leur présence. Kanunakawa-mimi déclara à voix basse à son frère : « Nous n’arriverons à rien en l’attaquant ensemble. Je vais entrer d’abord et tu lui décocheras une flèche de ton arc. » Mais lorsque Kanunakawa-mimi enfonça la porte pour pénétrer dans la pièce, Tagashi se réveilla. Irrité de voir ses jeunes demi-frères entrer dans la pièce armés d’un arc et de flèches, il bondit sur ses pieds et dégaina son épée. Les mains de Kanyayi-mimi tremblaient de peur et il lui fut impossible de décocher sa flèche. C’est pourquoi Kanunakawa-mimi lui arracha l’arc des mains et il décocha une flèche en plein dans la poitrine de Tagishi. La seconde flèche le frappa dans le dos et Tagishi en mourut. Ils enterrèrent sa dépouille à cet endroit même et érigèrent un sanctuaire pour l’honorer comme une divinité.

Honteux de la faiblesse de sa détermination, Kanyayi-mimi, l’aîné des deux frères, se retira de la vie publique et il alla vivre à Toichi (actuellement Toichi-cho, Shiki-gun dans la préfecture de Nara), où il prit le nom de Iho-no-Tomi Shiritsuhiko. Il passa le reste de son existence à se consacrer au service divin et à honorer l’âme de Tagishi, son demi-frère décédé.

Dans la cent trente quatrième année à compter du début du nouveau calendrier, Kanunakawa-mimi (connu plus tard comme l’Empereur Suizei) accéda comme prévu à la dignité céleste à l’âge de 52 ans. La cérémonie se déroula au Palais Takaoka à Katsuragi (préfecture de Nara) le vingt et unième jour après trois jours de festivités destinées à célébrer la nouvelle année.

Le douzième jour du neuvième mois, la dépouille de feu le souverain Kantake fut emportée du Palais Kashihara et inhumée sous un tertre à Kashiwo (au nord-est du Mont Unebi). Au cours des rites funéraires, la compagne Ahiratsu et Kushimikatama, le Ministre de la Droite, qui avaient consacré toute leur vie à son service, évoquèrent la grandeur du maître disparu. Ensuite, ils pénétrèrent dans le tumulus avec sa dépouille et ils y moururent avec lui.

Quand le peuple apprit la nouvelle le lendemain, trente-trois autres personnes suivirent leur maître dans la mort, un fait commémoré dans le chant suivant, populaire à cette époque :
Ama miko ga ame ni kaereba
Misomi ofu mame mo misaho mo
Tohoru ame ka na

(“Lorsque le prince céleste est reparti aux cieux, trente-trois autres l’y ont suivi. Puisse les cieux récompenser la loyauté et la vertu.”)
(Extrait du 30ème et 31ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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