Hotsuma-Tsutae Le Livre de la Terre (Chapitre 26) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


La Princesse Toyotama et le Poème de la Rose trémière
- Origines du Festival de la Rose trémière -

Le Prince Hohodemi, appelé familièrement “Yamasachihiko” ou le “Prince de la Générosité des Montagnes”, ne parvenait pas à retrouver le hameçon que lui avait prêté Honosusumi, son frère aîné. Un jour qu’il flânait sur le rivage à Kehi (actuellement dans la préfecture de Fukui), il découvrit par hasard une oie prise dans un piège. Considérant que l’oiseau se trouvait dans une situation comparable à la sienne, il se hâta de lui rendre la liberté.

Un noble d’âge avancé appelé Shihozutsu qui avait observé toute la scène lui déclara : « Tu n’as rien à craindre. Laisse-moi faire. » Il prit alors un filet de pêche et un petit bateau, y déposa un poème qu’il avait lui-même composé et il les envoya au palais de Hadezumi à Tsukushi (Kyushu). Débarquant sur la plage d’Udo à Umashi, Hohodemi fut chaleureusement accueilli par Hadezumi et, grâce aux efforts de son hôte, il parvint à récupérer le hameçon et à le rendre à son frère.

Cet épisode terminé, Hohodemi rassembla les gouverneurs locaux de Tsukushi et il leur annonça ceci : « J’ai l’intention de prendre femme. L’un d’entre vous a-t-il une opinion à exprimer à ce sujet ? ». Le noble Hotakami répondit : « Votre père Ninikine vous a déjà nommé comme Seigneur de Tsukushi, ce qui fait de vous notre souverain. Faites comme bon vous semble. Autrefois, votre père s’est fiancé à votre mère Konohanasakuya pendant une seule nuit et, plus tard, il l’a prise officiellement comme compagne. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de nous avoir fait part à l’avance de vos intentions. » La cour des nobles fut alors convoquée et Toyotama, la fille aînée de Hadezumi, fut nommée comme compagne principale du Prince. Pour le mariage, ils se déplacèrent tous au Palais de Kagoshima où la cérémonie se déroula avec faste et majesté.

Le matin du troisième jour après les noces, Toyozumi, le frère aîné de Toyotama, rassembla les six princesses des trois rangs inférieurs (deux pour chacun des rangs : suke, uchime et shimome) et il décora leur tête d’une coiffure de bambou ornée de bijoux. Dans leurs mains, il plaça une urne remplie d’eau, elle aussi agrémentée de pierreries. Dans cet état, elles attendirent avec impatience que le Prince sorte de la chambre nuptiale. Quand finalement la porte s’ouvrit, elles déversèrent sur sa tête l’eau de leur urne en chantant à l’unisson :
Momohinaki maguwahi nochi no
Mika no hi no kawamizu abite
Ubichini no kami kara shimo he
Hanamuko ni mizu
Mairasefu mairasefu

(“Momohinaki se baigne dans l’eau de la rivière le troisième jour après l’union. Comme Ubichini, de la tête aux pieds, arrosons, arrosons le jeune marié avec de l’eau !”)
Les gouverneurs des 32 districts de Tsukushi se joignirent au peuple qui lançait des vivats joyeux : “Yorotoshi !” (“Puissent-ils vivre longtemps !”)

Après le mariage, Hohodemi commença par visiter les 32 districts de Tsukushi afin d’y examiner les barrages et les digues, construits par son père Ninikine lors d’une tournée antérieure, et l’exploitation des nouvelles rizières. Après avoir apporté diverses améliorations, il revint à son palais de Kagoshima.

D’année en année, les récoltes augmentèrent et le pays s’enrichit, mais la province d’Aso restait stérile et sa terre aride. Aussi Hohodemi décida-t-il de construire un nouveau palais à Aso et d’y déplacer sa cour. Soucieux d’améliorer la qualité du sol, il laboura de la farine de poisson dans la terre comme fertilisant, ce qui produisit bientôt des rizières florissantes.

Entre-temps, malgré de longues années d’efforts appliqués, les rizières officielles de Shiga ne procuraient pas encore de récoltes suffisantes. A nouveau, Hohodemi déplaça sa cour au Palais de Tsukushi pour entamer de nouveaux travaux d’amélioration des terres. Cette fois, il utilisa la balle de céréales pour enrichir la terre. Après quoi, le sol de Kasuya (une partie de l’actuelle préfecture de Fukuoka) devint fertile et procura de superbes récoltes.

En réponse à des requêtes analogues d’amendement des terres provenant de 30 autres districts, Hohodemi s’y rendit tour à tour pour fournir des instructions en fonction de la situation. En conséquence, les récoltes de riz se bonifièrent de façon spectaculaire, l’existence de la population se stabilisa et un milieu de vie paisible fut créé. Hohodemi continua de travailler sans penser à lui-même et inlassablement afin d’améliorer les moyens d’existence et de développer l’agriculture du pays.

Cependant, ni la compagne principale Toyotama ni aucune des six princesses n’avait encore conçu un enfant. Ceci préoccupa tellement Hohodemi qu’il décida de revoir son mode de vie et sa façon de penser. Tout à coup, laissant toutes les princesses au Palais de Tsukushi, il retourna à son palais temporaire d’Udo, accompagné uniquement de Toyotama, son épouse principale. C’est là qu’il avait abordé à son arrivée à Tsukushi. Le couple vécut ici en paisible solitude, les deux se réaffirmant leur amour mutuel.

Entre-temps, Hadezumi, le père de Toyotama était préoccupé de la situation et il les invita à se reposer au Palais de Kagoshima, mais Toyotama déclina son offre. Comprenant finalement les intentions de Hohodemi, Hadezumi envoya le message suivant à Udo : « Vous vous êtes peut-être trop dépensé. Vous devriez vous reposer. » En effet, Hohodemi s’était surmené au point qu’il en éprouvait un certain stress mental qui affectait leur vie conjugale. S’il n’y avait pas d’héritier, le gouvernement serait perturbé, l’administration se délabrerait et, en fin de compte, la population en pâtirait. C’est donc par égard pour le peuple que Hohodemi décida de vivre dans un état de quasi isolement.

Le quinze du troisième mois, le souverain Ninikine publia un décret. « Après avoir édifié le Palais Nihari à Tsukuba, j’ai déménagé au Mont Harami à la recherche de sources d’eau abondantes pour la mise en valeur des rizières et, finalement, j’ai achevé la création du Pays de Hotsuma. Mais à présent, je prends de l’âge et je souhaite confier la dignité de souverain à mon fils Hohodemi. »

Recevant ce message à Tsukushi, Hohodemi fit des adieux émus aux 32 gouverneurs et il se mit en marche pour rejoindre son père au Palais Mizuho. Le noble Shiga s’enquit alors auprès d’un chef de bateau du temps requis pour le voyage de Hohodemi. L’homme lui répondit : « S’il voyage dans un grand bateau ‘kame’, le voyage prendra plus d’un mois. S’il utilise un bateau ‘kamo’, il durera environ un mois. Mais s’il part en grand bateau ‘wani’, il arrivera rapidement à destination. »

Hohodemi dit alors : « L’appel de mon père exige une réponse de la plus grande urgence. Je vais partir à Kita-no-Tsu en grand ’wani’. Toyotama n’a qu’à me suivre à l’aise dans un bateau ‘kamo’ dont les mouvements seront moins violents. » Ce disant, il fit voile de Shika-no-Ura (actuellement la Baie de Hakata) et il fut rapidement poussé par des vents favorables jusqu’à Kita-no-Tsu (actuellement la Baie de Tsuruga). La nouvelle de son arrivée au Palais Isasawake fut rapidement communiquée à la cour de Mizuho, à la plus grande joie de son père Ninikine et de ses ministres.

A vrai dire, le temps passé dans une ambiance d’isolement amoureux à Udo avait porté ses fruits car Toyotama avait conçu un enfant et l’accouchement n’allait plus beaucoup tarder. Alors que Hohodemi se préparait à partir pour Kita-no-Tsu, elle s’approcha de lui et dit : « Comme tu me l’as demandé, je protégerai cet enfant envers et contre tout. Je vais te suivre dans un bateau ‘kamo’. Veux-tu bien préparer là-bas une hutte de maternité dans laquelle je pourrai accoucher ? »

Dès son arrivée à Kita-no-tsu, Hohodemi donna immédiatement des instructions à ses serviteurs pour qu’ils commencent à construire la hutte de maternité. Mais l’embarcation transportant Toyotama arriva bien plus vite qu’on ne le pensait. L’assemblage des poutres de faîtage n’était pas encore achevé et le toit n’était pas encore recouvert de chaume. A peine la princesse fut-elle arrivée qu’elle donna le jour à un garçon.

Tous les ministres importants du pays s’étaient rassemblés à Kita-no-Tsu en préparation de cet heureux événement. Le noble Katsute, détenteur de l’autorité sur les affaires intérieures de la famille du souverain, avança une chaise à Toyotama, car il était préoccupé de son état physique après l’accouchement. Pour le bébé, il prépara également l’eau du premier bain, appelé ‘ugaya’, en infusant des hélianthes japonais et en y déposant les fleurs, ce qui dégagea un arôme très agréable et fournit une eau adoucissante pour la peau précieuse du bébé. Honosusumi (Sakuragi), le frère aîné de Hohodemi, prépara lui aussi un bain pour le nouveau-né. Il fut concocté en faisant bouillir du ‘makuri’ (un type d’algue) dans de l’eau. Les effets médicinaux de ce liquide contribuèrent à éliminer les premières matières fécales du bébé.

De cette façon, mucosités et selles du nouveau-né furent convenablement éliminées et sa formation débuta parfaitement. Pour le rituel de la coupure du cordon ombilical, Hotakami se servit d’un couteau fabriqué en bambou tacheté. Sa tige aurait poussé, dit-on, sur le lieu de la fosse où Konohanasakuya, la compagne de Ninikine, avait tenté de se suicider avec ses trois enfants nouveau-nés dans l’espoir de prouver son innocence. Entre-temps, le Omononushi (Komori) exécuta un rituel pour chasser les mauvais esprits. Il consistait à créer un sifflement au moyen d’un arc en bois de mûrier et à décocher des flèches empennées.

Ame-no-Koyane réfléchit alors au nom familier à donner à l’enfant et il l’appela ‘Kamohito’, en référence au voyage effectué en bateau ‘kamo’ par Toyotama, avant d’arriver à Kita-no-Tsu pour donner le jour à son enfant.

Comme nom officiel du bébé, Toyotama proposa Nagisatake Ugayafuki Awasezu. Ce vocable célébrait le noble courage dont elle avait fait preuve face aux difficultés rencontrées avant d’enfanter dans une hutte de maternité au toit non recouvert de chaume. En effet, le bateau ‘kamo’ dans lequel elle voyageait s’était échoué contre des récifs et avait fait naufrage près du Cap Miho à Izumo. Tout comme son jeune frère Takezumi et le noble Hotakami, Toyotama avait été jetée par dessus bord et elle était sur le point de se noyer. Luttant contre les vagues, elle sentit un courage indomptable qui jaillissait en elle. « Je dois tout faire pour rester en vie, pensa-t-elle. Je dois continuer à protéger cet enfant, présent dans mes entrailles. Pour l’amour de mon Seigneur Hohodemi, je dois accoucher de cet enfant en sécurité ! »

La force de sa détermination lui procura un courage surhumain qui lui permit de rester à flot. Finalement, un bateau de pêche vint la sauver et la transporta sur le rivage où venaient s’écraser les vagues. De là, elle fut immédiatement placée dans un grand bateau ‘wani’ qui l’amena bientôt à Kita-no-Tsu. Le nom qu’elle donnait à son nouveau-né témoignait à la fois de l’amour d’une mère pour son enfant et de sa détermination inflexible à remplir son devoir envers son mari, le futur souverain.

Lors de la naissance du bébé, Katsute avait transmis à Hohodemi l’avertissement suivant : « Pendant 75 jours à compter de la naissance, aucun homme ne doit regarder à l’intérieur de la hutte de maternité. Le bébé recevra chaque jour son bain ‘ugaya’ et la princesse devra se reposer de son accouchement. Telle est la coutume qui existe depuis toujours. »

Attristé d’être séparé si longtemps de sa femme et de son enfant, Hohodemi se consola en allant se promener chaque jour à Kehi dans les bosquets de pins. Parfois, sa promenade le conduisait près de la hutte de maternité de Toyotama. Un jour, alors qu’il passait à proximité, il remarqua que la porte était entrebâillée. Craignant que quelque chose d’étrange ne se soit passé à l’intérieur, il jeta un coup d’æil. C’est alors que, sur la couche, il vit la princesse étendue sur le ventre, sans le moindre vêtement sur le dos. Elle se reposait, confiante qu’elle était seule dans la pièce.

Sitôt après son coup d’æil furtif, Hohodemi se souvint de l’avertissement de Katsute. Il referma doucement la porte, s’éloigna sur la pointe des pieds, augmentant progressivement le pas.

Mais le bruit de ses pas éveilla la princesse. Son cæur fut alors rempli d’une honte indescriptible, car son mari l’avait vue dans cet état ignoble. Couverte de honte, elle décida de ne jamais plus remettre les pieds en sa présence. Ayant accompli ses purifications corporelles du sixième mois, elle s’éclipsa doucement de la hutte de maternité et, accompagnée de son frère Takezumi, elle se mit en route pour le palais temporaire de Wonifu.

Et c’est là qu’elle décida de se séparer de son enfant bien-aimé. Elle le serra contre elle et tapota délicatement son visage dodu et ses douces petites mains. Puis elle lui déclara avec détermination : « Ta mère est animée d’une honte indicible, au point qu’elle ne pourra jamais plus revoir ton père. Aujourd’hui, nous devons nous quitter et je repartirai vers mon pays natal. Un jour, peut-être nos chemins vont-ils à nouveau se croiser. Toi, tu dois grandir et être brave ! »

S’exprimant ainsi à travers ses larmes, elle remit le bébé à sa nourrice et à ses servantes et partit à contrecæur vers la rivière Kuchiki. Certes, le bébé était à elle, mais c’était également le trésor de son mari. Ce fut là une décision prise avec difficulté, eu égard aux dangers auxquels elle devrait encore faire face dans son périple et sa vie

Toyotama et Takezumi franchirent les ravins de montagnes, se dirigeant vers le cours supérieur de la rivière Kuchiki, et le troisième jour, ils arrivèrent à Yamashiro (partie du Kyoto d’aujourd’hui). Ils prirent finalement du repos à leur arrivée au sanctuaire de Mizuhame (la divinité de l’eau) au nord du Mont Waketsuchi (actuellement le Mont Kibune).

La nouvelle de leur fuite arriva rapidement chez Hohodemi à Mizuho, où il avait retrouvé son père Ninikine. Étonnés d’apprendre ces développements, ils envoyèrent tout d’abord Hotakami pour supplier Takezumi de ne plus s’enfuir. Des messagers dépêchés du Palais Wonifu rapportaient régulièrement des informations sur les allées et venues de Toyotama, mais personne ne trouvait d’idée adéquate pour résoudre la situation et faire revenir la princesse à la cour.

Il ne restait plus qu’une possibilité : convaincre Toyotama par son père Hadezumi et sa jeune sæur Ototama, vivant à Tsukushi. En apprenant la nouvelle, Hadezumi et Ototama partirent en bateau ‘wani’ et ils arrivèrent bientôt à Nishinomiya. De là, ils se dirigèrent vers Yamashiro. A Mizuhame, ils s’efforcèrent de persuader Toyotama de retourner, mais elle ne faisait que répéter avec une ferme détermination : « Toute personne qui a quitté la cour ne peut jamais y retourner. Oubliez-moi et, à ma place, offrez Ototama à la cour. » Hadezumi transmit ce message au Palais Mizuho où sa sæur Ototama fut acceptée en service, selon le væu de Toyotama. »

Conscient de son âge avancé, Ninikine, le “Petit-Fils Céleste”, avait déjà transmis la souveraineté sur le pays à Hododemi sans attendre le retour de Toyotama. Les cérémonies rituelles de l’accession au trône s’étaient déroulées avec grande solennité à Mizuho. Suivant l’exemple de Nihari, ils organisèrent un Grand Festival d’accession dans les pavillons yuki et suki. Huit grandes bannières furent suspendues pour proclamer la paix et la prospérité au peuple et les Trois Trésors Célestes furent vénérés. Le lendemain, Hohodemi se présenta devant la population et il accepta leur supplique : devenir leur nouveau souverain.

Par la suite, des mots d’encouragement furent envoyés de temps à autre à la princesse par des messagers de la cour, mais Toyotama ne manifesta pas le moindre signe d’un changement d’intention.

Ayant transmis la souveraineté à son fils, Ninikine adopta le titre plein de dignité de “O-oyekimi” (“Grand-père souverain”). Au début de l’année suivante, il partit pour le Mont Waketsuchi. En chemin à travers les montagnes, il cueillit des feuilles de rose trémière et de “katsura” (cercidiphyllum japonicum), qu’il attacha à ses manches.

A son arrivée, il fut accueilli cordialement par Toyotama. Il prit alors une des feuilles de ses manches et lui demanda :
« Quelle est cette feuille ? »
« Quoi ? C’est une feuille de rose trémière. » répondit la princesse.
« Et celle-ci ? »
« C’est une feuille de katsura. » dit-elle.
« Dans les deux cas, ce sont des feuilles jumelles. Dans le cas d’un couple, se peut-il que l’un des deux fasse défaut ? » insista-t-il.
« Non. L’un des deux ne peut pas manquer » dit-elle.
« Pourtant, tu as abandonné le monde extérieur, n’est-ce pas. Cela signifie que tu as manqué à la Voie de l’Humanité. »

A ces mots, Toyotama fut interloquée. On venait de lui faire prendre conscience de son égoïsme et elle se sentait honteuse et désolée d’avoir causé tant de souci à ce vieil homme.

« Il n’était nullement dans mes intentions d’être inadéquate. Mais tout d’abord, j’ai nagé d’une façon très peu féminine pour survivre avant d’être sauvée. Ensuite, mon mari m’a aperçue alors que j’étais couchée sur le ventre, sans la moindre modestie. Comment pourrais-je encore apparaître devant la cour après cela ? »

« Il n’y a là absolument rien de honteux, répondit Ninikine. Écoute-moi bien. Pendant 75 jours après qu’une femme a donné le jour à un enfant, elle ne doit avoir aucune relation avec un homme. Faute de quoi elle ne recouvrera jamais totalement la santé. L’avertissement de Katsute ne t’était pas destiné, mais bien à ton mari. C’est lui qui devrait être honteux d’avoir jeté un æil dans la hutte où tu te reposais.

« Le récit suivant t’aidera sans doute à comprendre. Depuis les temps anciens existe le dicton suivant : Un dragon, quand il est jeune, doit vivre un millier d’années dans l’océan. Là, il apprend les voies de l’océan. Ensuite, il vit un millier d’années dans les montagnes et il y apprend les voies de la montagne. Finalement, il vit un millier d’années dans un village et il apprend l’art de “tsuku” et “hanasu” : apprécier ce qui est bien et rejeter le reste. Tant qu’il n’atteint pas ces trois phases d’illumination, un dragon ne peut pas devenir un véritable “Roi Dragon”, expliqua Ninikine.

« Quand tu es tombée dans la mer, ton attachement pour ton enfant t’a donné le courage indomptable qui t’a permis de te sauver en nageant. Telle est la première phase. Si tu reviens à la cour et que tu salues tout le monde avec bonne humeur, tu éviteras tout ridicule et tu atteindras par là la seconde phase. La dernière phase consistera à te réconcilier avec ton mari et à suivre la Voie matrimoniale. De cette façon, tu atteindras l’illumination de l’esprit humain et, en franchissant ces trois étapes, comme le Roi Dragon, tu parviendras à la véritable noblesse. Penses-tu que le Roi Dragon soit noble ? »

Mais Toyotama ne trouva aucun mot pour exprimer sa honte d’avoir causé tant d’inquiétudes dans la vie du souverain âgé.

Pour ce voyage, Ninikine était alors accompagné de la Princesse Mihotsu, la mère de Komori, à qui il demanda ce qu’elle pensait. Après un grand soupir, Mihotsu répondit joyeusement :
« Mon Seigneur, je pense que vous n’avez pas à vous préoccuper. Car depuis le début, le Seigneur Hohodemi et la Princesse Toyotama étaient aussi inséparables que le soleil et la lune. Je pense que, tôt ou tard, ils seront réunis. »

Entendant ceci, Ninikine se sentit très soulagé. Souriant largement, il donna ordre à Takezumi de bien prendre soin de Toyotama et, en échange, il lui donna le district de Kawai (actuellement une partie de la ville de Kyoto). Ensuite, il redescendit vers la vallée jusqu’à Murotsu et il se prépara à embarquer sur un bateau ‘kame’ qui était venu le chercher.

Hohodemi était venu saluer son père lors de son départ. A cette occasion, Ninikine lui adressa ces derniers mots : « Comme le soleil et la lune éclairent le ciel et la terre, le monde de l’homme doit aussi être radieux. L’obscurité refroidit l’âme. Dans l’administration du pays, l’obscurité rend l’esprit humain désespéré et fait s’atrophier la nation. Dans ton gouvernement, tu dois travailler avec Koyane et le Omononushi et tu dois confier les affaires intérieures de la cour à la Princesse Mihotsu. » Ce disant, il prit place dans le bateau et partit pour Kagoshima.

Peu après, Ninikine s’éteignit sur le Mont Takachiho à Tsukushi.

Après quarante-neuf jours de deuil, Hohodemi s’enquit auprès de Koyane au sujet de la Princesse Toyotama. Elle aussi avait porté le deuil sur le Mont Waketsuchi.
« Mon Seigneur, il existe un bon précédent, répondit Komori. Vous devriez envoyer un poème à la Princesse. » Hohodemi approuva et il se mit aussitôt à la composition d’un poème. Isoyori, la petite-fille de Mihotsu, se vit confier la tâche de l’apporter à Toyotama. La Princesse fut ravie d’acceuillir une visiteuse qui se mit à lui déclamer le poème suivant au nom du souverain :
Oki tsu tori kamo tsuku shima ni
Waga ineshi imo wa wasuraji
Yo no kotogoto mo

(“Sur une île où arriva le ‘kamo’ *, cet oiseau du large, je ne puis oublier ma dame, avec laquelle j’ai dormi, ni les affaires de la nuit.”)
[ * Jeu de mots sur le terme ‘kamo’, signifiant à la fois ‘canard’ et le ‘bateau’ dans lequel Toyotama est partie du Kyushu. ]

Toyotama écouta ce poème en silence, puis elle demanda : « Et que dit la Princesse Mihotsu ? » Isoyori récita alors un poème composé par Mihotsu.
Imi to ihi kegare to tatsuru
Hi no moto no kami no kokoro o
Shiru hito zo kami

(“Celui qui connaît l’esprit de la divinité d’où se lève le soleil, qui pratique l’abstinence et refuse l’impureté est vraiment divin.”)
Entendant ces deux poèmes, Toyotama comprit qu’à la cour, tout le monde lui avait pardonné sa honte d’autrefois. Elle prit alors la feuille de rose trémière comme symbole d’elle-même en tant que femme et la feuille de katsura comme symbole du souverain. Elle les enveloppa soigneusement dans un papier, attacha celui-ci au moyen d’un cordon fait de paille ‘mizuhiki’, les plaça dans un coffret et les remit à ses visiteurs.

Hohodemi ouvrit lui-même l’emballage et il lut le poème que Toyotama lui faisait parvenir :
Oki tsu tori kamo o osamuru
Kimi nara de yo no kotogoto o
Yeya wa fusagan

(“Si mon seigneur maîtrise le ‘kamo’*, cet “oiseau du large”, tout le mal du monde sera sûrement désavoué.”)
[ * Jeu de mots sur le terme ‘kamo’ dans le poème de Hohodemi et le terme ‘kamo’, signifiant “ciel et terre“.]

Après avoir lu ce poème trois fois, Hohodemi ne put retenir ses larmes qui, en tombant sur ses genoux, mouillèrement la feuille de rose trémière et laissèrent une tache sur son vêtement.

Peu après, Toyotama arriva à la capitale dans un palanquin que Hohodemi avait envoyé à son intention. Toute la cour de Mizuho se laissa alors aller à des scènes de liesse et à des célébrations aux cris de “Yorotoshi ! Yorotoshi !” (“Longue vie”).

Pour transmettre à la postérité l’émotion sans précédent de ces événements, trois types de tissu ont été conçus de manière à incorporer le motif de la feuille de rose trémière. Ce sont le “ko-aoi”, le “kokochiri” et le “yamahatoiro”, utilisés tous les trois par la suite pour les vêtements officiels portés par les employés de la cour.

(Extrait du 26ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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